La maison de repos

Passer 7 semaines en maison de repos, c’est comme une pause dans le temps, une fracture dans ta vie de d’habitude et une vision complétement décalée de ce que c’est vraiment. Je m’imaginais naïvement dormir 19 heures sur 24 et lire ou regarder des films le reste du temps. Que nenni, la maison de repos n’a de repos que le nom. Le réveil se faisait en fanfare à 7h45 (et 8h30 le dimanche si tu as de la chance) et la matinée était ensuite bien rodée : piqûre, médocs, douche et habillage, lit à faire, ménage en surface et kiné. Autant vous dire qu’arrivée à l’heure du déjeuner, je tenais déjà une petite forme. Mon astuce : mettre en route un épisode d’Orange Is The New Black au petit déj’ pour me donner une raison valable de garder les yeux ouverts au lieu de me rendormir.Maison de repos 2

Le repas du midi ayant une nette tendance à s’étirer dans le temps, notre jeu principal pour occuper le temps consistait à deviner si le contenu de l’assiette serait conforme au menu distribué la semaine précédente et si on allait de nouveau remplacer les champignons de ma voisine de table, allergique, avec des… champignons (true story). Le temps des repas fut le lieu de nombreux fous rires, entre les surnoms donnés à chaque aide-soignante selon leur degré de sympathie à nos yeux et les histoires salaces du seul homme de la table, 92 ans au compteur mais toujours le premier à taquiner sa voisine. Puisque la proximité était au rendez-vous, c’est avec délice que nous avons instauré la règle du « petit chocolat » accompagnant notre café de fin de déjeuner, sous l’œil envieux des autres tablées. Notre club des 5 était de loin le meilleur de la résidence et nous prenions à cœur de veiller les uns sur les autres.

J’ai vécu de nombreux déboires, avec entre autre une chute qui m’a mise hors de moi puisque j’étais coincée ici pour être en sécurité et que la mauvaise gestion de cette clinique a mis ma guérison en danger. J’ai ri jaune lorsqu’on est venu me dérober 2 paquets de M&Ms alors que ma chambre était censée être fermée à clé et j’ai supplié nuit et jour les infirmières que les piqûres dans le ventre me faisait plus de mal que de bien (en vain). J’ai attendu souvent, j’ai pesté quotidiennement, j’en ai eu marre régulièrement mais je n’avais qu’une hâte : rouler jusqu’à la terrasse pour ma pause cigarette quotidienne et partager les potins du jour avec Aline, 38 ans, ramant dans la même galère que moi.Maison de repos 1Mais ce que je retiens de ce séjour imposé, c’est la bienveillance qui m’animait tous les jours. Avec mon statut de benjamine de la communauté (moyenne d’âge = 70 ans), je prenais un malin plaisir à accrocher des fleurs dans mes cheveux et mettre des pantalons multicolores pour semer des sourires partout où j’allais. J’encourageais mes camarades de salle de kiné qui me voyait évoluer plus vite qu’eux, jeunesse oblige et je leur faisais peur en m’élançait à toute vitesse dans les couloirs avec Kit, mon super fauteuil roulant customisé avec des ballons de baudruche.

J’ai joué aux jeux des chaises musicales avec mes quelques visiteurs : qui vient, qui part, quel jour, quelle heure (surtout pas celle de la sieste). J’ai dévoré une montagne de bouquins, regardé 2 ou 3 films et j’ai concentré mes ondes inconscientes sur la guérison de cette partie osseuse de mon corps à moitié morte. J’ai hérité du kiné le plus souriant du monde (et beau, ce qui ne gâche rien) qui se désespérait de me voir ralentir un peu la cadence. J’ai lancé un appel à la carte postale et autres dessins colorées et j’ai pu décorer un pan de ma chambre de la plus jolie des façons.

J’ai écouté une autre génération me raconter la guerre et ses maigres repas, les blessures du passé et les bonnes résolutions du présent, en étant constamment subjugué par la force de caractère du plus faible d’entre eux. J’ai écouté leurs déboires et leurs douleurs dans une société qui essaye de les faire taire et j’ai fait du mieux que j’ai pu pour ensoleiller leur existence sur mon passage. Ces gens ont fait revivre la petite flamme de ma conscience en me faisant comprendre que j’avais de l’or à l’intérieur et que ce n’était pas si compliqué de le distribuer. Mais j’ai aussi compris que ce talent doré ne se partage pas avec n’importe qui. A travers cette expérience, j’ai pris et j’ai appris, j’ai lâché la bride, j’ai oublié le temps.

Au final, j’ai cru devoir détester cette période de transition et puis, tout compte fait, je l’ai bien aimé.

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Commentaires

  1. Magnifique article, si sincère et si fort. J’espère que tu récupères comme tu le souhaites et que tout va bien pour toi. Passe une très belle journée !

  2. Très bel article, et bon courage pour la suite!
    Bisous ♡

  3. C’est avec le recul qu’on apprécie ces petites choses de la vie. Enfin petite petite, pas tant que ça, mais je pense que tu as compris mon message :-)
    Tu as bien fait d’écrire cet article, je pense que de t’être replongée dans tes souvenirs t’as fait ressortir le coté positif que tu avais mis de côté !

  4. Quel article magnifique!

  5. Wow! Ta plume est splendide! J’adore la manière dont tu écris et ce que tu racontes! Merci pour ce petit récit pleins de tendresses racontant des moments pas toujours simple. Des bisous ma belle :)

  6. Lo on 19 juin 2015 at 19:30 a dit :

    C’est émouvant, quelle force tu as :), belle suite à toi Fanny !!

  7. Pingback: Prendre la plume - concours de nouvelles Au Féminin

  8. Sophie on 5 octobre 2015 at 10:17 a dit :

    Mais qu’as-tu eu, en fait pour te retrouver là-bas ?

  9. Pingback: De la vie sur les murs grâce aux stickers muraux.

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